Anthologie
Ne dites pas : mourir ; dites : naître. Croyez.
On voit ce que je vois et ce que vous voyez ;
On est l’homme mauvais que je suis, que vous êtes ;
(...)
On monte. Quelle est donc cette aube? C’est la tombe.
Où suis-je ? Dans la mort. Viens! Un vent inconnu
Vous jette au seuil des cieux. On tremble ; on se voit nu
(...)
Et soudain on entend quelqu’un dans l’infini
Qui chante, et par quelqu’un on sent qu’on est béni,
Sans voir la main d’où tombe à notre âme méchante
L’amour, et sans savoir quelle est la voix qui chante.
Le poème commence par s’adresser à un “vous” pluriel, dont il est vraisemblable qu’il désigne les lecteurs. Mais le groupe des lecteurs s’élargit ici, comme dans l’ensemble du Livre VI, jusqu’à englober tous les hommes : la foi en une autre vie après la mort con¬cerne, par définition, l’humanité toute entière. Le couple “je” / “vous” qui figure le rap¬port du poète aux lecteurs n’est nommé que pour, aussitôt, être mis en question : il se dé¬finit, dans le deuxième vers cité, par rapport à un “on” : “On voit ce que je vois et ce que vous voyez”. Cette nouvelle référence à la vision explicite l’injonction récurrente de “voir” qui est faite au lecteur : ce qu’il est demandé aux lecteurs de “voir”, ce n’est pas la vision subjective du poète, c’est ce qu’ “on” voit - “on”, c’est-à-dire l’homme. “On” ne totalise pas tous les hommes ; ce rôle est réservé à “nous”, qui englobe le poète et ses lecteurs dans l’humanité souffrante ; “on” transcende cette totalité pour désigner, par-delà les individus réels, la condition humaine, résumée par la Préface dans la formule : Homo sum . Hugo