Bergson
Etant ce que je suis, me connaître est la chose la plus aisée, car je suis à moi-même l’objet le plus proche et le plus clair : je suis à la fois, dans une intime proximité, celui que j’ai à connaître et celui qui a à connaître.
Aussi, nulle difficulté : je puis tout savoir de moi, immédiatement, par introspection.
Pourtant, la question posée suggère qu’une autre thèse est possible.
Elle fait l’hypothèse qu’il n’est pas évident que l’on puisse se connaître, mais encore qu’il n’est pas aisé de savoir ce que l’on peut savoir.
On peut donc semble-t-il savoir quelque chose de soi, bien que la question n’empêche pas que l’on réponde que l’on ne peut rien savoir du tout. Le moi comme identité personnelle, ma subjectivité, est suspectée de n’être pas transparente à elle-même, car on n’attend pas à la question posée une réponse telle qu’elle serait : on peut tout savoir. C’est donc l’idée de connaissance de soi qui est mise en crise. Qu’est-ce qui en effet fait problème ?
Connaître, dans les sciences, c’est en général connaître un objet extérieur : il faut qu’il y ait une distinction de nature entre le sujet connaissant et l’objet à connaître. Avec une méthodologie adéquate, je peux en effet parvenir à une connaissance de cet objet, que ce soit une connaissance physicienne, biologique, etc. Or, on remarque que moins est nette la distance qui sépare le sujet de l’objet à connaître, plus est difficile la constitution d’une telle connaissance. L’ambiguïté est maximale lorsque l’on prétend se connaître soi-même. En ce cas, il n’y a nulle distance, car je me confonds totalement avec ce que je veux connaître, si bien qu’on aboutit à la difficulté suivante : si le sujet connaissant est l’objet à connaître, cet objet se modifie en même temps que ma connaissance