Coule la seine
Aussi, si les gens ne faisaient pas toute une histoire avec Noël, il y aurait moins de tragédies. Ils sont déçus, les gens, forcément. Et ça fait des drames.
Seul dans son bureau, le commissaire Adamsberg griffonnait, un carnet calé sur ses cuisses, les pieds posés sur sa table. Il avait pris la garde de nuit avec Deniaut, qui somnolait à l’accueil. C’était le 24 décembre, c’était spécial, tous les autres gars étaient dehors. Ils allaient fêter l’entrée en scène de l’hiver. Une minorité d’entre eux n’aurait raté ça pour rien au monde et une majorité n’avait trouvé aucun moyen d’y échapper.
Pour Jean-Baptiste Adamsberg, c’était différent : il redoutait Noël et il s’y préparait. Noël et sa cohorte d’accidents, Noël et sa légion de drames. Noël, la nuit des brutes.
Forcément.
Adamsberg se leva lentement et alla coller son front à la vitre embuée. Au-dehors, des guirlandes d’ampoules jetaient de brefs éclairs sur les corps des clochards, tassés glacés dans les recoins. Il tenta de calculer combien de fric s’était ainsi pulvérisé depuis trois semaines dans le ciel de Paris sans qu’une seule pièce en retombât dans la poche des errants. Noël, la nuit du partage.
Il posa son bloc et son crayon, disposa deux assiettes sur un coin de table, sortit une bouteille de vin, examina le contenu du four et appela Deniaut.
Forcément les gens s’exaspèrent. La tension de ce long compte à rebours au terme duquel doit jaillir l’insouciance, ça leur met les nerfs en bouillie, aux gens. Depuis cinq semaines, le vieux type à barbe blanche et robe rouge a envahi les murs, jovial et prometteur. Il est increvable, ce type. Il a pourtant la tête d’un gars qui a forcé toute sa vie sur le pinard. Mais rien à faire, inusable. Il n’a pas l’air de sentir le froid, non plus. Jamais un rhume. C’est un héros béat et ses bottes sont rondes et propres.
Dès l’apparition du vieux type, la tension monte cran par cran. Le pays tout entier, soumis, se crispe et se prépare à son