Homère
Le poème d'Homère tire une part de sa force d'un double enracinement : ce n'est nulle part ailleurs qu'en Méditerranée, et ce pourrait être en toute partie du monde où se rencontrent la mer, des ports, des îles, des marins … La Phéacie n'est pas moins efficacement protégée du monde extérieur que certaines des îles hyperboréennes qui jalonnent la navigation de Saint Brendan. Ici et là, l'attente du navigateur n'est pas moins vive que les forces qui tentent de contrarier son approche, comme ce dieu de la mer qui veille — au Chant V — à ce que l'abordage d'Ulysse se fasse attendre : « Flotte à l'aventure ; avant qu'en Phéacie, des nourrissons de Zeus t'accueillent, j'ai l'espoir de te fournir encore ton content de malheur ».
Du XVIe au XVIIIe siècles, la littérature utopique tentera, sans réel succès, d'insérer ses grandes projections dans une géographie profondément renouvelée par les découvertes maritimes ; dans l'Odyssée coexistent sans hiatus une société datée, localisée, et l'éternelle aspiration à un ailleurs différent. « Nous vivons à l'écart et le dernier des peuples, en cette mer des houles, si loin que nul mortel n'a commerce avec nous » peuvent affirmer les sujets d'Alkinoos — mais tout lecteur d'Homère, hier ou aujourd'hui, sait que l'île des Phéaciens git à portée de rêve, quelque part au-delà de l'horizon marin.
Ithaque, but ultime, s'enrichit de cette certitude, comme des séductions surmontées en l'île de Calypso, comme des dangers parés aux bords de l'île du Soleil, à l'approche de Charybde ou de