invention lettre a cecile
1er octobre 17…
Comment te dire ? Comment ne pas te dire ? Je ne sais, ou je ne sais que trop… Que s’est-il passé ? Comment ai-je pu, comment a-t-il osé ? Si confuse sans être affligée… Honteuse, et honteuse de l’être si peu… L’amour… Mais comment parler d’amour ?
Oui, comment te dire ? Ce mystère dont nous avons cent fois parlé, au couvent, n’a plus de secrets pour moi : en un mot comme en sang , je suis à présent femme – et très femme, même… oui, ma Sophie, cette nuit, un homme…
Je sens bien que déjà tu voudrais tout savoir, et de l’événement, et de ses circonstances . Ce vicomte dont je t’ai déjà parlé, cet être odieux dont les regards narquois me laissaient toute moite… Il est venu hier au soir dans ma chambre, et là… Il me menaçait d’un scandale épouvantable — et ma mère qui dormait de l’autre côté de la cloison ! « Un baiser », disait-il. « Rien qu’un baiser ! » À plusieurs reprises, il m’a bâillonnée de sa main, pour m’empêcher de crier — de frayeur d’abord, de douleur ensuite, de bonheur enfin… Oui, de bonheur : les caresses de cet homme épouvantable avaient bien plus de persuasion que celles de Sœur Suzanne , que tu as si souvent partagées avec moi… Mais jamais nos jeux innocents, ou moins innocents… Non, non, jamais je n’éprouvai un tel plaisir. J’en ai honte, bien honte, mais pour être tout à fait sincère, cette honte qui monte à mes joues brûlantes me fait penser à cette nuit, et le plaisir revient avec ma honte. Et déjà je sens que je ne pourrai terminer cette Lettre sans l’interrompre.
Jeux de mains, jeux de vilains, nous sermonnait la Mère supérieure quand elle nous surprenait dans nos ébats. Et nous devions le répéter tandis qu’elle nous donnait le fouet… C’est peut-être vrai face à Dieu, mais tout à fait faux face à un homme. Et celui-là est d’une adresse !… Sa main soulevait une gaze ici, une dentelle là. Le temps d’y penser, et de penser à protester, et j’étais déjà nue. Les baisers sont venus par dessus