Les fables de la fontaine
ISBN : 978-2-266-16918-9 444 pages Prix : 19 €
CHAPITRE PREMIER La vente de charité avait commencé bien après minuit, une fois le dîner de gala terminé. À presque quatre heures du matin, les enchères tiraient à leur fin. Le cadran numérique disposé derrière le célèbre commissaire-priseur – un acteur qui avait incarné James Bond à l’écran pendant plusieurs années – affichait un total dépassant le million d’euros. – Lot numéro deux cent dix : une paire de masques japonais de kabuki du début du e XIX siècle. Un murmure d’excitation parcourut la salle bondée. Incrustés d’éclats de jade, les masques étaient le clou de la soirée : selon les estimations, ils devraient partir à un demi-million d’euros. Le grand homme mince aux cheveux blancs et crépus coupés court debout au fond de la salle était prêt à débourser le double de cette somme. Nicolas Machiavel se tenait en retrait de la foule, les bras croisés sur la poitrine, prenant soin de ne pas froisser son smoking en soie noire taillé sur mesure. Ses yeux gris pierre balayèrent les autres enchérisseurs, les scrutèrent, les évaluèrent. Cinq sortaient du lot : deux collectionneurs privés comme lui, un membre d’une famille royale d’Europe sans importance, un acteur américain autrefois célèbre et un antiquaire canadien. Le reste de l’assistance était fatigué, avait dépensé son budget ou ne souhaitait pas acheter des masques aux expressions déroutantes. Machiavel collectionnait les masques depuis très longtemps, et il désirait acquérir cette paire afin de compléter sa série de costumes de théâtre japonais. Leur dernière mise en vente datait de 1898 ; c’était à Vienne, et ils avaient été remportés par un prince Romanov. Machiavel avait patiemment attendu son heure, sachant qu’ils réapparaîtraient sur le marché à la mort de ce prince et de ses descendants. Il savait qu’il serait encore de ce monde pour les acheter – l’un des nombreux avantages que