Matiere trompeuse (mais signifiante)
En quoi l’utilisation à contre-emploi de la matière permet‑elle de mettre en exergue les spécificités du thème abordé? Nous essaierons de répondre à cette question en explorant les questionnements de différents artistes.
/// Jeff Koons, Rabbit acier inoxydable, sculpture 104,1 x 30,5, exposé au château de Versailles, 1986
Jeff Koons représente des animaux-ballons réalisés en acier chromé. Opposant la brillance et la solidité du matériau très travaillé qu’est l’acier chromé à la fragilité, la légèreté et l’aspect mat du ballon de baudruche, Jeff Koons présente avec ironie une image détournée d’un stéréotype associé à l’enfance et à l’amusement. L’objet sans valeur et périssable destiné aux jeux d’enfants devient alors une oeuvre précieuse et pérenne. L’effet inattendu et surprenant provient alors, en plus du jeu d’échelle, du matériau employé.
/// Anselm Kiefer, Naglfar verre et plomb, installation, galerie d’art moderne de Bologne, 1998
Les installations de Anselm Kiefer sont particulièrement surprenantes. Des livres, bibliothèques et papiers s’y amoncellent, poussièreux et énigmatiques. Rien de surprenant a priori si ce n’est que les objets de Kiefer sont réalisés en plomb et en verre. C’est ici le poids de la mémoire, de la connaissance et même de l’Histoire qui est évoqué. Les oeuvres font référence à l’accumulation des archives nazies consignant le poids des atrocités de la Shoah. Kiefer montre le livre, le papier, objets légers et périssables, mais leur confère par l’utilisation des matériaux un poids et une résonnance particuliers. Egalement, il sym-bolise cette mémoire collective qui ne saurait disparaître malgré la déliquescence des supports qui en portent la trace.
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