A l’assaut de la bibliothèque
Dès son plus jeune âge l ’écrivain Jean-Paul Sartre fut passionné par les mots.Elevé chez son grand-père ,qui était professeur ,et qui possèdait une grande bibliothèque ,il éprouva très tôt de la curiosité pour les livres ,monde étrange et fascinant pour l ‘enfant qui venait tout juste d’apprendre à lire.
Je me lançai dans d’incroyables aventures : il fallait grimper sur les chaises,sur les tables,au risque de provoquer des avalanches qui m’eussent enseveli.Les ouvrages du rayon supérieur restèrent longtemps hors de ma portée ; d’autres, à peine je les avais découverts,me furent ôtés des mains ; d’ autres,encore,se cachaient : je les avais pris, j’en avais commencé la lecture , je croyais les avoir remis en place , il fallait une semaine pour les retrouver.Je fis d’horribles rencontres : j ouvrais un album, je tombais sur une planche en couleurs ,des insectes hideux grouillaient sous ma vue.Couché sur le tapis, j ’entrepris d’arides voyages à travers Fontenelle,Aristophane,Rabelais : les phrases me résistaient à la manière des choses ; il fallait les observer,en faire le tour,feindre de m ’éloigner et revenir brusquement sur elles pour les surprendre hors de leur garde : la plupart du temps,elles gardaient leur secret.J’ étais La Pérouse,Magellan,Vasco de Gama ; je découvrais des indigènes étranges : (...) cent autres Cafres impénétrables et distants surgissaient au détour d’une page et leur seule apparition disloquait tout le paragraphe.Ces mots durs et noirs, je n’en ai connu le sens que dix ou quinze ans plus tard. La bibliothèque ne comprenait guère que les grands classiques de France et d’Allemagne.Il y avait des grammaires , aussi, quelques romans célébres,les Contes choisis de Maupassant,des ouvrages d’ art-un Rubens,un Van Dyck,un Durer,un Rembrandt que les élèves de mon grand-père lui avaient offerts à l’ occasion d’un Nouvel An.Maigre univers.Mais le Grand Larousse me tenait lieu de tout : j’en prenais un