L'ingenu Voltaire Introduction
Extrait du chapitre 1
« Je m’aperçois, monsieur l’Ingénu, dit le grave bailli, que vous parlez mieux français qu’il n’appartient à un Huron. — Un Français, dit-il, que nous avions pris dans ma grande jeunesse en Huronie, et pour qui je conçus beaucoup d’amitié, m’enseigna sa langue ; j’apprends très-vite ce que je veux apprendre. J’ai trouvé en arrivant à Plymouth un de vos Français réfugiés que vous appelez huguenots HYPERLINK "http://fr.wikisource.org/wiki/L%E2%80%99Ing%C3%A9nu/Chapitre_I" \l "cite_note-7" [7], je ne sais pourquoi ; il m’a fait faire quelques progrès dans la connaissance de votre langue ; et dès que j’ai pu m’exprimer intelligiblement, je suis venu voir votre pays, parce que j’aime assez les Français quand ils ne font pas trop de questions. »
L’abbé de Saint-Yves, malgré ce petit avertissement, lui demanda laquelle des trois langues lui plaisait davantage, la huronne, l’anglaise, ou la française. — La huronne, sans contredit, répondit l’Ingénu. — Est-il possible ? s’écria Mlle de Kerkabon ; j’avais toujours cru que le français était la plus belle de toutes les langues après le bas-breton. »
Alors ce fut à qui demanderait à l’Ingénu comment on disait en huron du tabac, et il répondait taya ; comment on disait manger, et il répondait essenten. Mlle de Kerkabon voulut absolument savoir comment on disait faire l’amour ; il lui répondit trovander HYPERLINK "http://fr.wikisource.org/wiki/L%E2%80%99Ing%C3%A9nu/Chapitre_I" \l "cite_note-8" [8], et soutint, non sans apparence de raison, que ces mots-là valaient bien les mots français et anglais qui leur correspondaient. Trovander parut très-joli à tous les convives.
Monsieur le prieur, qui avait dans sa bibliothèque la grammaire huronne dont le révérend P. Sagar Théodat, récollet, fameux missionnaire, lui avait fait présent, sortit de table un moment pour l’aller consulter. Il revint tout haletant de tendresse et de joie ; il reconnut l’Ingénu pour un vrai Huron. On disputa un