Corpus sur le roman
Texte 1
Jeune homme idéalement beau, Lucien quitte la ville d'Angoulême en compagnie de sa protectrice, Mme de Bargeton, pour aller chercher à Paris la gloire littéraire. Il y perdra vite ses illusions, comme ici, lors de sa première sortie au théâtre.
« […] Le plaisir qu'éprouvait Lucien, en voyant pour la première fois le spectacle à Paris, compensa le déplaisir que lui causaient ses confusions(1). Cette soirée fut remarquable par la répudiation(2) secrète d'une grande quantité de ses idées sur la vie de province. Le cercle s'élargissait, la société prenait d'autres proportions. Le voisinage de plusieurs jolies Parisiennes si élégamment, si fraîchement mises, lui fit remarquer la vieillerie de la toilette de Mme de Bargeton, quoiqu'elle fût passablement ambitieuse : ni les étoffes, ni les façons, ni les couleurs n'étaient de mode. La coiffure qui le séduisait tant à Angoulême lui parut d'un goût affreux comparée aux délicates inventions par lesquelles se recommandait chaque femme. – Va-t-elle rester comme ça ? se dit-il, sans savoir que la journée avait été employée à préparer une transformation. En province il n'y a ni choix ni comparaison à faire : l'habitude de voir les physionomies leur donne une beauté conventionnelle. Transportée à Paris, une femme qui passe pour jolie en province, n'obtient pas la moindre attention, car elle n'est belle que par l'application du proverbe : Dans le royaume des aveugles, les borgnes sont rois. Les yeux de Lucien faisaient la comparaison que Mme de Bargeton avait faite la veille entre lui et Châtelet(3). De son côté, Mme de Bargeton se permettait d'étranges réflexions sur son amant. Malgré son étrange beauté, le pauvre poète n'avait point de tournure(4). Sa redingote(5) dont les manches étaient trop courtes, ses méchants gants de province, son gilet étriqué, le rendaient prodigieusement ridicule auprès des jeunes gens du balcon : Mme de Bargeton lui