Le dormeur éveillé - proust et les mille et une nuits
Du sommeil au réveil, un art poétique du roman dans l’ouverture d’A la Recherche du Temps perdu
Dans l’univers de la Recherche du Temps perdu de Marcel Proust, œuvre de la mémoire, de la réminiscence, du monde – et du temps – recomposé, tout commence par le sommeil. Tout commence, plus exactement, par la plongée dans le sommeil, par l’entrée dans le royaume des rêves – par l’entre-deux obscur et bouleversant du sommeil et de la veille. Longtemps, je me suis couché de bonne heure. Parfois, à peine ma bougie éteinte, mes yeux se fermaient si vite que je n’avais pas le temps de me dire : « Je m’endors ». Et, une demi-heure après, la pensée qu’il était temps de chercher le sommeil m’éveillait ; je voulais poser le volume que je croyais avoir encore dans les mains et souffler ma lumière ; je n’avais pas cessé en dormant de faire des réflexions sur ce que je venais de lire, mais ces réflexions avaient pris un tour un peu particulier ; il me semblait que j’étais moi-même ce dont parlait l’ouvrage : une église, un quatuor, la rivalité de François Ier et de Charles Quint.[1]
Entrée véritablement dans le monde du roman proustien, que cette ouverture (au sens musical du terme, comme on parlerait de l’ouverture d’un opéra) où, par l’évocation des sommeils du Narrateur, s’annonce le mouvement même de l’œuvre, s’annoncent ses principaux thèmes, se dessinent en filigrane les lieux de son évolution, en même temps que se trace la démarche qui sera celle du roman : le retour en arrière, l’anamnèse, ce travail de la mémoire, le jeu avec le temps. Mais qui dit sommeil, qui dit rêve, dit aussi le réveil, le retour à l’état de conscience. Et il est curieux de suivre ce mouvement qui, symptomatiquement, fait coïncider le début du roman proustien, son « ouverture » ou encore son incipit, avec le passage du sommeil à la veille, ce mouvement qui dit, dans un même temps semble-t-il, l’accession de l’être à la conscience claire et lucide, à la