Morales de proust
M. Antoine Compagnon, professeur
Cours : « Morales de Proust » Le cours a porté sur l’œuvre de Proust pour une deuxième année consécutive, mais, après « Proust : Mémoire de la littérature » en 2006-2007, sur un sujet nouveau et tout autre, « Morales de Proust », sujet risqué des deux côtés : du côté de la morale, car celle-ci a été longtemps tenue pour hors-jeu dans les études littéraires, et du côté de Proust, car celui-ci a été longtemps tenu pour immoral ou amoral par la critique. Une double justification préalable fut donc nécessaire. Morale et littérature À la veille du premier cours, un correspondant me rappela, pour s’étonner du titre de l’année et pour y relever une inconséquence, que Le Démon de la théorie, publié il y a dix ans (1998), se terminait par cette proposition : « La perplexité est la seule morale littéraire ». À l’époque, c’était une manière d’écarter un sujet qui n’avait pas été traité dans ce livre en réfutant toute récupération édifiante de la littérature, mais c’était aussi la preuve que la question se posait, qu’elle était ouverte, mais qu’on restait sur le seuil, qu’on ne le franchirait pas, ne se risquerait pas au-delà. La perplexité, le doute, l’irrésolution, le scepticisme étaient donnés comme les seules morales littéraires possibles, par opposition à toute forme de certitude morale, d’assurance éthique, existentielle ou ontologique que pourrait procurer la lecture. La littérature ouvre à la perplexité morale — la complication, l’embarras —, elle détruit les certitudes morales au lieu d’en donner ou de les consolider. Elle désillusionne et déniaise. Mais dans La Littérature, pour quoi faire ?, la leçon inaugurale de la chaire donnée l’an dernier, j’observais un tournant des études littéraires vers les usages et les pouvoirs de la littérature, vers la littérature comme action, et vers la critique comme pragmatique de la littérature. Plutôt que d’un